Des lettres qui pleuvent...


sans titre immédiat

Il avait pris pour habitude de dévisager les gens dans le métro, soutenir un regard pour enfin croiser un humain. Ligne douze, toujours la même jusqu'à finir dans ce royaume où l'homme s'habille d'argent. L'odeur nauséabonde de celui qui se nourrit d'apparence et affiche son sourire carnassier en toutes circonstances. Ce n'est pas tant le mépris qui défile dans ces rues qui puent mais l'hypocrisie pulvérisée comme une bombe à chiotte pour masquer la supposée supériorité.

C'est ici qu'il croisa pour la première fois Lian. Elle n'était pas différente au premier coup d'oeil et pourtant il allait comprendre, sans doute trop tard, à quel point il se trompait.



1er décembre 2005
Station Sèvre-Babylone.



Aujourd'hui j'en ai croisé deux, deux humains sur cent dans ce métro qui me ressemble, tant il transporte d'inconnus dans son corps mort. Une carcasse vide remplie d'histoires qui ne sont pas les siennes, les miennes, ou si peu. De nouveau je me fais happer par cette masse informe du matin parisien. Faire courir ses pieds plus vite que ses pensées pour ne pas risquer la chute ou un coup. La bouffée d'oxygène grise qu'offre la sortie n'est qu'une bien pâle compensation. La fac n'est pas loin, dommage, c'est le seul trajet qui m'illumine.

Je pense à appeler Jeanne avant d'aller en cours. Deux jours enterrés par le temps depuis son message : "François, il faut que je te vois, c'est urgent, c'est à propos de Nico". Nico, qu'est ce que j'en ai à foutre. Trop vite le bâtiment prend forme sous mes yeux. Des étudiants qui se ressemblent tous sont amassés devant ces portes fermées. Jeanne, bon dieu, Jeanne est là mais qu'est ce qu'il se passe.

Elle court vers moi comme une poupée désarticulée. Essoufflée elle balbutie, des mots, des phrases peut-être, je ne sais pas, je ne comprends pas, je ne comprends rien. Nico, parents, trois jours, police, disparu. Voilà ce que Jeanne m'offre, une phrase à trous.



***



2 décembre 2005
Chez moi.



J'ai froid, mes os claquent les uns après les autres. J'ai mal dormi. Jeanne erre déjà dans l'appartement. Je n'ai pas eu le courage de la renvoyer chez elle hier soir. Il m'a fallu presque la journée pour lui réapprendre à faire des phrases et la nuit en plus pour qu'elle s'arrête de chialer. Nico s'est tiré, Nico s'est tiré, on va pas non plus faire un drame pour un chieur pété de tunes qu'en a eu marre de sa condition sociale. Merde et le clodo d'hier qu'est mort ! Y a une nana belle comme le jour qui chiale pour lui aujourd'hui ? Je ne crois pas.

C'est vrai qu'elle est belle Jeanne, c'est con qu'elle soit aussi chiante quand même. Si je compte bien j'ai tenu deux semaines avec elle, avant que sa connerie ne me fasse rebrousser chemin. C'est terrible la vie, si elle était née moche, elle ne se serait jamais donné le droit d'être aussi chiante.

- Jeanne, je suis désolé mais là il faut que j'aille en cours là, tu fais quoi toi, va bien falloir que tu rentres non ?

- Je sais pas, tout ça je sais pas, j'ai beau essayer de retourner les choses, de trouver une explication logique , je ne comprends pas. On était heureux. Il était heureux, on peut pas se planter là dessus, hein François mais regarde-moi ! Dis-moi, je ne peux pas m'être trompée à ce point ?

- C'est peut être pas toi qui t'es trompée Jeanne.



***


7 décembre 2005

Chez moi



Un dimanche drapé de pluie vient me sortir du lit. Une représentation de danse se tape mon velux. Un rapide coup d'œil à l'appartement me suffit pour déduire que je n'ai pas fini la soirée seul. En effet quelques secondes s'écoulent et le jet de la douche se mêle à la pluie. J'ai trop bu et je ne sais même pas qui est cette fille qui squatte ma salle de bain. Reste à définir si c'est une fille d'ailleurs. Aucune certitude puisqu'aucun souvenir d'hier soir. Le poids de ma tête écrase les résidus d'images qui semblent vouloir se présenter. La porte s'ouvre et tout me reviens.


- Enfin la marmotte se réveille. Je vais m'habiller et je cours à la boulangerie, tu veux quoi ?

- Rien, mets tes fringues et tire-toi d'ici !

- Non mais ça va pas, qu'est ce qui t'arrive ?

- Putain, vous êtes vraiment toutes les mêmes et toi en plus tu m'as l'air un peu sourde. Écoute moi bien, j'ai le crâne assez explosé pour te dire que je vais pas le dire deux fois. On a baisé comme des bêtes, t'as pris ton pied, tu vas pas en plus demander tes restes. Ouvre les yeux, c'est vide, je suis vide. Y a rien ici, rien pour toi, rien pour personne, t'as compris ? Mets tes fringues, tire-toi de là et oublie-moi.


J'aurais certainement dû être plus délicat mais la délicatesse et moi on n'est pas potes et depuis longtemps déjà. Elle a juste pris le temps de remettre son jean et son petit haut avant de se tirer avec ses chaussures à la main. J'ai envie de sourire, de pleurer, de cogner, de lui courir après et de m'excuser, je ne le ferai pas, je ne le fais jamais.


Quatorze heures, ma journée est fichue, j'ai rendez-vous à seize heures à St-Michel avec Jeanne. Pas envie de voir du monde, pas envie de faire semblant d'être heureux et pourtant je fonce à la douche me remettre les idées en place, je sais que je dois y aller.


Jeanne est déjà là, installée fièrement en terrasse, sortie tout droit de la page 24 de Biba, tendance été 2010. C'est suicidaire en décembre mais c'est exactement Jeanne, la contradiction dans toute sa splendeur. Née riche elle rêvait déjà d'être pauvre.


- T'es en retard ! Je t'attends depuis vingt minutes et dans le froid en plus!

- T'avais qu'à te mettre à l'intérieur ma petite chieuse. Je sais pas, enfin je dis ça en l'air, le prends pas mal surtout mais le monsieur de l'école il t'a pas appris les saisons quand t'étais petite ?

- T'es vraiment incorrigible, toujours à la bourre et tu trouves encore le moyen de te foutre de la personne qui t'attend pour pas avoir à t'excuser.

- C'est bon Jeanne on arrête, égalité, balle au centre ?

- Ouais si tu veux.

- D'accord, alors bonjour pour commencer et est-ce que tu vas mieux, pour ne pas en finir ?

- Et ça recommence, bonjour en premier lieu et non, non je ne vais pas bien mais ne t'inquiète pas je vais en finir plus vite que tu ne le penses ! T'es qu'un connard !


Elle s'est levée si vite qu'elle a fait tomber la chaise vide d'à côté. Je ne l'avais jamais vue comme ça, jamais. Me planter là, me laisser seul sans que je l'aie décidé, c'était bien la première fois. Venu de nulle part, un besoin vital de lui courir après, je n'ai pas su le combattre


- Attends, Jeanne, attends-moi, prends pitié d'un fumeur, merde ! Je suis désolé, désolé d'être arrivé en retard, désolé de me foutre ouvertement de toi mais tu me connais je sais pas faire autrement. Je suis désolé Jeanne.


2 commentaires:

la saucisse en pause a dit…

je te découvre autrement et quelle bonne surprise!
j'aime ta manière de raconter,y'a pas de lourdeurs,tout est bien à sa place je trouve et puis narrer en mec c'est un exercice qui me plairait beaucoup,l'idée est très intéressante,bref continue!

(euh sinon je vais bien t'inquiète hein?!bises blogueuses!!!)

* a dit…

Je me découvre également
c'est la première fois
que je fais autant dans la fiction
et oui
c'est un pied terrible que d'écrire au masculin
c'est impressionnant
comme les barrières tombent.

merci en tout cas
ça fait plaisir
et ça rassure
la suite s'écrit
doucement mais sûrement

(oki je m'inquiète un peu moins alors...)

bisous