Des lettres qui pleuvent...


Le sac de Chloé (fin)

C'était vendredi, ça se passait toujours ce jour-là. Elle seule savait pourquoi. Les autres la voyaient juste passer, courant après ses jambes plus pressées que le mercredi, plus pressées que le jeudi. Aujourd'hui était un vendredi.

Vite, vite, marcher en se recoiffant. Pour si peu qu'elle trouve de quoi le faire, ce coup de brosse même appliqué ne servait strictement à rien. Vite, vite, marcher en se remaquillant. Encore aurait-il fallut qu'elle trouve son rouge à lèvres dans son sac. Il paraissait pourtant léger mais c'était un bordel qui finissait régulièrement vidé sur une marche, ne serait-ce que pour y trouver ses clés. Pour son coeur, reprenez ce principe et vous aurez le non-rangement de Chloé.

Chloé, c'était son nom Chloé...

Je me souviens d'elle, assise dans la cour, avec ses anglaises blondes et son cartable trop grand pour ses petites épaules. Tout était un peu trop grand pour elle, le poids qu'on lui demandait de supporter à la maison, les silences qu'on lui imposait, les règles mathématiques, mais c'était comme ça. Tout était juste un peu trop grand, un peu trop lourd.

Aux recréés elle avait le droit aux moqueries du genre, "j'vais t'clouer, j'vais t'clouer" ou bien, "clou rouillé, t'es qu'un clou rouillé". C'est étrange comme la méchanceté des enfants semble glisser sur d'autres. Chloé… C'était une vitre si lisse que tout y glissait même les orages. Et lorsqu'il pleuvait fort pendant des jours, elle effleurait tout doucement le contour de ses lèvres avec son index, de peur que l'instant ne passe trop vite et Chloé se mettait à sourire.

C'est ce genre de souvenirs qu'elle avait gardés dans son sac, enfin dans son coeur. Non pas pour souffrir de mots qui n'avaient plus aucun sens de nos jours, mais tout simplement parce qu'elle ne savait plus sourire, parce qu'elle n'était plus lisse. La méchanceté des enfants s'excuse, celle des adultes non !

- "Bonjour Chloé, vous êtes en avance aujourd'hui".
Cette voix l'avait sortie directement de ses pensées. Oui, Chloé il fallait l’interpeller à voix haute pour qu'elle se pose quelques secondes auprès de vous, juste quelques secondes.

- "Je suis en avance ? Je m'en doutais à marcher si vite, j'ai cherché ma montre en venant mais je ne retrouve plus rien dans mon sac et il n'y avait pas de marche où le vider. Je n'ai même pas pris le temps de regarder la couleur du ciel, y avait-il du soleil, était-il bleu ou gris comme ses yeux ?"

- "Je ne sais pas Chloé, je n'accompagnais pas la promenade aujourd'hui, je suis resté enfermé ici. Vous avez l'air essoufflée, pourquoi vous dépêcher ainsi ? Vous arrivez toujours en avance mais je ne peux pas vous faire entrer. Je n'aime pas vous faire patienter. Au fait, c'est pour bientôt, combien de mois ?"


- "J'ai toujours peur, je... je cours plus vite qu'avant vous savez. Oui, toujours plus vite, comme si à courir après le temps je pouvais le doubler, comme si une fois passée devant, lui m'en accorderait un peu plus arrivée ici. Je marche, je pense, je cours, je pense plus vite, toujours plus vite... Trois mois, il ne reste plus que trois mois Georges, depuis le temps que j'attends, ils vont me paraître interminables. "

Georges c'était un nounours, toujours attentif aux signes qui ne trompent pas. Aux cernes qui se déposaient sous ses yeux gris, mois après mois, année après année.
Il avait toujours des sourires pour elle, il la trouvait belle Chloé. S'il avait eu une fille il l'aurait appelée ainsi. C'était doux mais fort, tendre mais courageux. Oui, sa fille se serait appelée Chloé.

Mais Georges, le bon vieux Georges n'avait pas eu d'enfant et maintenant c'était trop tard. Alors avec elle, pour elle, il endossait ce rôle, une fois par semaine. Ce n'était pas grand chose, un grain de sable sur une plage, mais c'était toujours sincère.

Il l'avait rencontré pour la première fois il y a onze ans, elle n'en avait que dix. Elle venait toujours avec sa mère, tous les vendredi et puis trois ans plus tard.
Elle était arrivée seule, vêtue de noir alors que sa couleur était le bleu.

Son sac avait l'air un peu plus lourd qu'à l'habitude. Dans ses mains y avait un tas de papiers qu'on voudrait ne jamais signer. Dans ses poches, ses petites, toutes petites poches, y avait des larmes. Y en avait des rivières dans la droite et des océans dans la gauche. C’est toujours plus lourd côté coeur.

Et Georges avait compris. Elle était tombée dans ses bras, comme on chute lorsque deux jambes ne suffisent plus à porter le monde. Pendant deux heures le silence avait remplit le hall, mais il n'était pas froid (le silence), il était "..."
Et si parfois il n'y avait pas de mot ? Ce silence était... un point c'est tout.

Georges venait de se rendre compte que l'attitude de Chloé était contagieuse, cela faisait bien cinq minutes qu'il repensait à elle, à tous ces vendredi, combien y en avaient-ils ? S'il se mettait à les compter les larmes allaient monter.
"Alors laissons les vendredi aux vendredi" se dit il...

- "Il est l'heure Chloé."
En levant les yeux Georges la vit au loin, elle était déjà rendue à la grille, il dut lui courir après.
- "Chloé arrêtez-vous, votre sac ! Comment fera votre père pour tenir une semaine sans ses livres ?"

- "Oh Georges, merci, merci..."


Il n’en fallait jamais plus pour faire fondre son cœur. C’est parfois à l’entrée d’une porte close que l’on retrouve sa clef.


Titre : Le sac de chloé 1
Catégorie : Nouvelles littéraires
Date de publication : 15 décembre 2008

J'avais pour habitude d'être déçue mais ce n'était pas bien grave parce que je savais que je le serais. Puis parfois y avait un espoir. Se dire, tiens, cette personne a l'air sincère, a l'air de donner autant qu'elle reçoit, a l'air d'être et de vouloir être là.

J'ai rencontré Chloé entre deux couloirs de cm1, elle dehors et moi aussi. Devoir attendre cinq minutes, préparer les explications pour le maître, lui dire pourquoi tout d'un coup son cours était devenu bien bruyant. Chacune son maître, chacune sa classe, chacune ses silences. On était à peu près aussi fières l'une que l'autre. Y a pas besoin de mot pour ça. Il suffit de regarder le sourire au coin de l'oeil et de réaliser que la gamine d'en face semble bien effrontée. Elle me ressemble.

Les cinq minutes s'écoulent rapidement de regard en sourire, la porte s'ouvre de son côté, elle rentre. Moi j'attends toujours. J'observe le plafond et je repense à la petite fadette. Je me dis qu'il est bien triste de vouloir en faire un film quand un enfant peut y mettre ses angoisses en couleur. Le maître ouvre la porte, se baisse à ma hauteur et commence ses remontrances. Moi je regarde toujours le plafond. Je me demande pourquoi ce monsieur qui semble gentil et doté d'une certaine intelligence, à eu l'idée un jour de vouloir enseigner les divisions.

Ce qu'il y a de pratique quand on est pas une bonne élève, c'est qu'on a des excuses pour regarder partout sauf l'intéressé qui vous parle et qui ne demande que ça. Je sais qu'au fond de lui il a pitié, il doit se dire, la pauvre, elle n'ose même pas me regarder parce qu'elle ne comprend pas ce que je lui dis. Il doit trouver mes yeux bien vides alors qu'ils se nourrissent ailleurs. L'incident est clos, il a dit ce qu'il avait à dire, je peux rentrer m'asseoir.

Les jours passent et ressemblent tous à celui-ci. Il n'y a que les matières qui changent lors de mes sorties, dites de réflexion dans le couloir. Je croise Chloé régulièrement. On se met à fixer des heures pour se retrouver, on commence à parler entre nos regards. On s'apprivoise je crois. Je lui dis que peu m'importe le cours, sauf le dessin. J'aime ça le dessin. Le français aussi mais j'ai trop honte pour l'avouer parce que je n'aime que les rédactions libres et je suis vraiment mauvaise en orthographe. De toute manière à la maison ce qui compte se sont les maths, les maths et les maths.

Si je réfléchis bien je crois que de toute ma scolarité je n'ai jamais fais mes devoirs. Ma mère rentrant tard et n'ayant qu'une seule question. "As-tu fais tes devoirs" ? Ma réponse bien évidente, toujours la même, "oui". Je n'ai jamais fais mes devoirs et j'attendais juste qu'on le remarque mais je savais lire, je m'exprimais très bien, mes notes n'étaient pas flamboyantes mais la moyenne était là. Moi qui pensais attirer l'attention comme ça, quelle idiote pour le coup.

Chloé vient me chercher à la récré maintenant. On reste sous le préau. Elle me raconte son déménagement, ces amis d'avant, les soirs quand elle rentre à la maison, sa mère qui mange des médicaments et qui a souvent soif. Son père elle n'en parle pas, je ne lui en demande pas plus. Je me dis que finalement je dois pas être si malheureuse que ça. J'écoute mais je ne parle pas. Elle dit que je suis une huître et que même un couteau n'arriverait à rien avec moi. Elle a raison.

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