Des lettres qui pleuvent...


Cinq heures en été


Il est cinq heures, à l'horloge du salon il est cinq heures.

La radio annonce la neige en été et c'est normal. Aujourd'hui tout est normal, sur la table il y a du beurre en spray. On a jeté les couteaux, trop de place pour rien et puis la viande n'existe plus. Inutile de conserver ces petites choses la, un gadget gardé dans un placard tout au plus.
On a jeté les couteaux.

Il est cinq heures de neige en été et le monde est en hiver, suspendu au tic-tac, il est cinq heures pour nulle part et cinq heures ailleurs. Les infos annoncent la fin du monde, encore une fois, mais la fin est arrivée bien avant que l'on ne l'invite.
La fin commence au début.

Il est cinq heures pour le monde mais il ne bat plus, un coeur sans pulsation.
Il aurait sans doute pu vous dire :
"Bonsoir ici l'apnée au bout du fil..."
Mais les fils ont disparu, le monde ne parle plus.

Il est cinq heures sur le vide du salon, il n'y a pas de murs ici et l'horloge est accrochée au temps. Un flocon, deux flocons.La radio grésille, entre deux fausses notes la voix d'un homme se fait entendre :
- "Mesdames, messieurs, écoutez cette nouvelle.
La neige viendra se glisser en beau manteau sur notre mois de décembre et l'été aura un soleil sur sa tête..."

Autour de la table les éclats de rire fusent et les commentaires vont bon train :
- "Ils ont engagé un fou sur la radio Mondiale"
- "Il ne va pas faire long feu à déblatérer des inepties pareilles"
- "Cinquante marguerites qu'ils l'ont viré après son intervention"

Vous ne le savez pas, mais parier cinquante marguerites est un risque énorme, c'est l'Edelweiss des temps modernes et les champs sont une espèce en voie d'extinction. Les fausses notes vibrent à nouveau dans cette pièce nue, la voix s'est essoufflée sans même avoir apporté un brin d'espoir.

Il est cinq heures,
Il neige sur juillet et si le monde existe, il ne vit plus.
Il est cinq heures depuis trop longtemps.


Personne n'a réparé l'horloge du salon, l'heure ne servait plus à rien dans ce monde où la mort va plus vite que la vie. Ces petites choses sont devenues futiles. Il est cinq heures et c'est un grand jour, aujourd'hui ils se sont décidés à décrocher l'horloge.
On ne laisse pas l'inutile suspendu au vide.

Deux hommes sont pourtant émus en observant cette vieillerie considérée comme trop encombrante.

- " Te souviens-tu qu'avant la neige ne tombait qu'en hiver et que le temps nous paraissait toujours trop court"
- "Oui je crois m'en souvenir. Penses-tu qu'on puisse réparer cette horloge ?"

Il est bientôt cinq heures...

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